Tomkins ou Ekman ?

Le 22/09/2024 0

L’objet de DS2C est, depuis 2014, d’étudier le passage à l’acte et de développer une véritable expertise dans, ce qu’on appelle en psycho : l’agir et ses motivations. La base de ce travail d’expertise repose sur une approche générale et clinique. Développer ses connaissances et se documenter parmi les théories actuelles ou qui ont déjà été éprouvées est une nécessité.

A ce titre, je vous propose donc de découvrir la théorie de l’affect, de Silvan Tomkins. Bien moins connue que celle de Paul Ekman, elle est néanmoins pour moi une des bases solides qui sert à s’expliquer une partie du passage à l’acte délictuel/criminel. Elle s’inscrit dans une perspective darwiniste que je revendique.

La théorie de l’affect de Silvan Tomkins, développée dans les années 1960, met l’accent sur les affects en tant que réponses physiologiques qui influencent le comportement humain de manière fondamentale. Cette approche est souvent comparée aux travaux de Paul Ekman en raison de leurs efforts communs pour comprendre les émotions humaines universelles.

Mais leurs théories diffèrent dans leur conceptualisation de l’émotion, leur approche des affects et leurs méthodes de recherche.

Les fondements de la théorie de l'affect de Silvan Tomkins

Tomkins a développé une théorie très originale et complète des affects, qu’il définit comme « des réponses biologiques précoces et essentielles aux stimuli environnementaux ». Contrairement à d'autres approches psychologiques qui considèrent l'émotion comme un sous-produit du cognitif ou comme une réponse secondaire à des événements extérieurs, Tomkins place l’affect – l’émotion - au centre de l’expérience humaine. Tomkins soutient que les affects sont des mécanismes de motivation pour l’homme. Ils constituent un système qui oriente le comportement et permet à l'individu d'interagir avec son environnement de manière adaptative. Tomkins identifie neuf affects de base, qui sont des réponses physiologiques caractéristiques à des situations ou des stimuli spécifiques :

  • La surprise (ou l’étonnement)
  • La peur (ou la terreur)
  • Le dégoût
  • Le mépris
  • La colère (ou la rage)
  • La tristesse (ou l’angoisse)
  • La joie (ou l’excitation)
  • L’intérêt (ou la curiosité)
  • La honte (ou l’humiliation)

Ces affects sont universels, présents chez tous les humains dès la naissance, et régulent l’interaction entre l'individu et son environnement.

Pour Tomkins, les affects se manifestent par des changements visibles et mesurables dans la physionomie, notamment dans l'expression faciale, et sont accompagnés d'une activation autonome (par exemple, une accélération du rythme cardiaque ou une montée d'adrénaline). L'affect se traduit par des réponses physiques reconnaissables.

L’un des aspects clés de sa théorie, c’est son insistance sur le fait que les affects ne sont pas seulement des réponses aux stimuli externes mais ils jouent un rôle dans la régulation de l’attention, augmentant ou diminuant la conscience de certaines situations, et influencent ainsi la manière dont les individus interagissent avec leur environnement et les autres.

Un élément central de la théorie de Tomkins est le concept de script. Les scripts sont des schémas comportementaux que les individus construisent au fil du temps en réponse à des affects récurrents. Chaque individu développe des scripts basés sur ses expériences affectives, qui guident son comportement futur. Par exemple, si un individu associe souvent l’affect de la honte à certaines interactions sociales, il peut développer un script qui l’incite à éviter ces situations à l’avenir.

Les scripts sont donc des moyens d’organiser les expériences affectives et d’anticiper les réponses à des événements futurs. Ils permettent aux individus de donner un sens à leurs expériences émotionnelles et de développer des stratégies d'adaptation.

Comparaison avec la théorie des émotions de Paul Ekman

Paul Ekman est largement reconnu pour ses travaux sur les émotions et l’expression faciale. Bien que Tomkins et Ekman partagent une vision selon laquelle certaines émotions sont universelles, ils diffèrent dans leur approche et leur méthodologie. Il est donc pertinent d’analyser en profondeur les points de convergence et de divergence entre les deux théories.

Ekman, influencé par les travaux de Charles Darwin, a cherché à prouver que certaines émotions sont universelles et se manifestent de la même manière dans toutes les cultures humaines. Grâce à ses recherches sur les expressions faciales, Ekman a identifié six émotions de base universelles :

  • La joie
  • La tristesse
  • La peur
  • La colère
  • Le dégoût
  • La surprise

Ces émotions, tout comme les affects de Tomkins, sont considérées comme innées et partagées par toutes les cultures humaines. Ekman a utilisé des méthodes d'observation des expressions faciales à travers différentes cultures pour démontrer l'universalité de ces émotions.

De ce point de vue, la théorie des émotions d'Ekman est similaire à celle de Tomkins, dans la mesure où les deux théoriciens s’accordent sur le caractère universel de certaines réponses émotionnelles humaines.

L'approche cognitiviste d'Ekman versus la théorie affective de Tomkins

L’une des différences fondamentales entre les deux théories réside dans leur approche de l'émotion. Pour Ekman, les émotions sont principalement des réponses cognitives à des événements spécifiques. Elles sont déclenchées par des évaluations conscientes ou inconscientes de l’environnement. Par exemple, une émotion comme la peur est déclenchée par la perception d'un danger imminent.

En revanche, Tomkins insiste sur le fait que les affects ne nécessitent pas de processus cognitif pour se déclencher. Pour lui, l’affect précède la cognition. Par exemple, un individu peut ressentir de la colère avant même de comprendre pourquoi il est en colère. Tomkins voit l'affect comme une réponse immédiate et automatique qui précède toute réflexion consciente.

Les deux théories accordent une grande importance aux expressions faciales comme indicateurs des émotions. Cependant, leurs interprétations diffèrent. Ekman a développé le système d'encodage facial (Facial Action Coding System - FACS), une méthode pour identifier les émotions humaines à travers l’analyse précise des mouvements des muscles faciaux. Il soutient que chaque émotion de base est associée à une expression faciale spécifique.

Tomkins, de son côté, a également souligné l'importance des expressions faciales, mais il s'est davantage concentré sur la manière dont les affects sont intrinsèquement liés à l'activation physiologique, y compris l'expression faciale. Pour lui, les affects sont des réponses biologiques globales qui incluent, mais ne se limitent pas, aux expressions faciales.

Un autre point de divergence entre Tomkins et Ekman est la place que l'affect ou l'émotion occupe dans la motivation du comportement. Ekman traite les émotions comme des réponses à des stimuli et les considère principalement comme des indicateurs d'états mentaux. En revanche, pour Tomkins, l'affect est le moteur primaire du comportement humain. Il est la force sous-jacente qui motive toutes les actions, pensées et interactions sociales.

Les théories de Tomkins et Ekman ont toutes deux fait l'objet de critiques et de révisions à mesure que la recherche en psychologie émotionnelle a progressé. Tomkins a été critiqué pour son insistance sur l’aspect biologique des affects, certains psychologues estimant que son approche négligeait l'influence des facteurs sociaux et culturels. De plus, sa classification des affects a été jugée simpliste par certains chercheurs, qui ont argumenté que les émotions humaines ne peuvent être réduites à une liste restreinte.

De son côté, Ekman a également fait l'objet de critiques, notamment pour sa focalisation excessive sur l'universalité des émotions, au détriment des variations culturelles et individuelles dans l'expression et la compréhension des émotions.

Cependant, ces deux théories continuent d'influencer profondément le domaine de la psychologie des émotions. Les travaux récents en neurosciences affectives et en psychologie sociale ont montré que les deux approches – celle de Tomkins, centrée sur l’affect, et celle d'Ekman, centrée sur l’émotion et l’expression faciale – peuvent être complémentaires. Certains chercheurs modernes combinent ces perspectives pour offrir une compréhension plus nuancée des émotions humaines.

En conclusion

La théorie de l'affect de Silvan Tomkins et la théorie des émotions de Paul Ekman sont deux approches majeures et influentes pour comprendre la nature des émotions humaines. Alors qu'Ekman a mis l'accent sur l'universalité des expressions faciales et sur les émotions comme réponses cognitives, Tomkins a proposé une vision plus biologique et corporelle des affects comme mécanismes de motivation. Ces différences reflètent des conceptions distinctes de la manière dont les individus interagissent émotionnellement avec leur environnement, mais elles peuvent aussi être vues comme des approches complémentaires plutôt qu’opposées.

 

Affects

 

 

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