Détecter le mensonge ? Une fumisterie !
Vous pouvez lire beaucoup de choses sur la possibilité de détecter les mensonges. Il y a de tout et surtout du n’importe quoi. Cela va de repérer un menteur en regardant sa bouche, le menteur à tendance à toucher son corps, faites attention à son regard, repérer un menteur à sa respiration… Toutes ces idées ne vous aideront pas à dépasser la limite du hasard (50%) pour savoir si celui ou celle qui vous fait face vous ment.
Lorsque nous sommes en situation d’interaction et que nous évoquons un souvenir, nous faisons appel à notre mémoire. La mémoire nécessite que nous ayons encodé un fait avec tout ce qu’il comporte en termes d’émotions, de couleurs, de symboles… Une fois l’encodage effectué, nous le stockons afin de pouvoir le récupérer si besoin. Notez que nous interprétons pas nécessairement un fait, un événement, une chose, de la même façon qu’une autre personne parce que nous avons chacun notre vécu et notre histoire. C’est cette dimension personnelle qui donnera sa spécificité à notre souvenir. A chaque fois que nous nous remémorons ce souvenir, et le temps s’y ajoutant, notre souvenir se déforme.
De plus, nous ne pouvons traiter en temps normal que 7 informations simultanées en moyenne. Plus les tâches se complexifient et que nous n’y sommes pas préparés, moins il sera aisé de les réaliser simultanément.
Mentir répond à 6 exigences selon Vrij :
- Il faut engager des ressources cognitives importantes puisqu’il est question de réfléchir, d’être attentif, de s’ajuster, de penser et encore d’analyser. Cela demande énormément d’énergie, d’attention et de concentration.
- Le menteur doit aussi savoir se contrôler pour ne point trop en dire et paraître crédible. Il part du postulat que sa culpabilité est visible.
- Mais il doit également surveiller le feedback que lui envoie celui à qui il ment, et donc observer et analyser la gestuelle de l’autre, les questions qu’il lui pose et évaluer en permanence si l’autre tombe dans le panneau ou pas.
- Mentir sur quelque chose veut aussi dire qu’il va falloir s’en souvenir, encoder le mensonge et le stocker pour pouvoir le rappeler si nécessaire.
- Le menteur va nécessairement utiliser la vérité pour la distordre, la modifier pour qu’elle lui soit profitable.
- Enfin, lorsque le mensonge est engageant, qu'il y a un risque de sanctions, arranger la vérité pour produire un mensonge va s’avérer être une tâche très complexe ("Paraverbal indicators of deception : a meta-analytic synthesis", Sporer & Schwandt, 2006, Applied Cognitive Psychology).
Nous mentons tous pour des objectifs bien différents, l’enfant pour dire qu’il n’a pas volé un jouet, l’adolescent lorsqu’il dit qu’il a fait ses devoirs, l’adulte pour jurer qu’il ne trompe pas sa femme ou qu’il n’entretient pas de relation inapropriée avec son assistant(e).
Mais nous pouvons avoir les mêmes motivations, le plaisir de duper l’autre, la culpabilité ou la peur d’être confondu. Ekman recense 9 motivations à mentir comme par exemple échapper à une sanction, obtenir une récompense, se prémunir d’une atteinte physique, exercer un pouvoir sur l’autre, obtenir une reconnaissance de l’autre…
Chaque état émotionnel a des conséquences sur le corps et sur la production des mots, la façon de les articuler, la tonalité…
Si j’ai plaisir à mentir, j’aurais certainement des marqueurs gestuels associés à la joie avec une élévation de la voix, une accélération de mon discours et je ferai davantage de gestes illustrant mon discours.
Si je ressent de la culpabilité, de la honte, je regarderai moins dans les yeux, je ferai moins de mouvements de la tête, moins de gestes illustrateurs. Mon discours sera aussi plus lent, je ferai plus de sourires d’embarra, je pourrais détourner le regard sur certains mots, ma voix sera plus basse et vous pourriez observer des expressions de tristesse.
Cependant, plus l’enjeu est important, les conséquences contraignantes et impactantes, s’il y a un risque important de sanctions, plus il y aura de risques d’être confondu.
Toutes les stratégies que vous entendez sur “comment détecter le mensonge” ne sont rien si vous n’avez pas en tête l’erreur d’Othello. Il s’agit d’un ensemble de biais qui annihilent votre objectivité et vous conduisent à interpréter des indices comme étant en lien direct avec le mensonge alors qu’ils sont générés pour d’autres raisons (Ekman, 1986 ; “le mensonge”, Elissalde, Tomas, Delmas, Raffin - Dunod). Vous êtes persuadés que l’autre est un menteur alors quoiqu’il dise, vous n’entendrez pas ses arguments et vous ne serez pas objectifs. Alors vous observerez une hausse de la tonalité de la voix, un discours plus rapide, une voix plus lourde, d'avantages d’erreurs de discours, l’usage d’un style indirect et des marqueurs gestuels de peur et pourtant, la personne - sous stress - dira la vérité !
Créer une surcharge cognitive !
Il n’y a pas 36 solutions pour être au-dessus du seuil du hasard pour identifier un mensonge.
Globalement, il est nécessaire de faire parler le menteur afin qu’il produise le plus de détails possible et provoquer une surcharge cognitive. Vous pouvez même lui demander de raconter à nouveau les faits mais en partant de la fin. Voyez s’il s’associe à son discours avec des gestes qui illustrent ses propos, s’il dit que l’agresseur se trouvait dans son dos, alors il pointera derrière lui ou se retournera, c'est ce que fait une personne qui dit la vérité. Ses gestes seront en adéquation avec ses mots. Vous pouvez également faire attention aux clignements de ses paupières. Le menteur qui se concentre et produit son mensonge arrête de cligner des yeux jusqu’à ce qu’il ait fini son propos. S’ensuit une décharge cognitive où vous verrez ses paupières battre plus qu’à son habitude ("Blinking during and after lying", Leal & Vrij,2008, Journal of Nonverbal behavior).
A vous d'observer !