Dans cet article, je reprends quelques idées marquantes largement développées dans « Ethologie, biologie du comportement » d’Irenäus Eibl-Eibesfeldt (éd. Naturalia et biologia, 3ème édition). J’ai regroupé ces idées en 3 parties, certaines phrases peuvent être reprises telles quelles, je l’assume pleinement. L’objectif de cet article est d’éclairer celles et ceux qui aimeraient lire le livre, mais également celles et ceux qui souhaitent disposer de l’information sans pour autant le lire. Ce qui est intéressant, c’est que le contenu trouve un large écho dans notre société contemporaine, également dans la discipline de la Synergologie quant à son approche.
L’auteur autrichien (1928-2018) a été le fondateur de l’éthologie humaine et fut le premier à appliquer la méthode d’observation et de raisonnement de l’éthologie au comportement humain (wikipédia). C’est évidemment ce qui m’a attiré dans cette bible éthologique extrêmement bien documentée, qui fait suite aux travaux de Konrad Lorenz, grâce à laquelle nous pouvons faire des extrapolations avec nos comportements humains.
L’observation des comportements dans leur milieu
Le comportementaliste, l’éthologue, observe un animal au cours d’une activité déterminée et se demande pourquoi il agit ainsi et pas autrement. Il observe l’animal aussi bien dans son milieu naturel qu’au cours d’expériences qui visent une activité spécifique. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en Synergologie lorsque nous voulons trouver un sens à un ou plusieurs gestes. Nous codons ce geste, nous l’observons en milieu naturel et dans des conditions recréées puis nous en déduisons un horizon de sens. « L’apparition d’un signe, d’un geste, dans le champ de perception d’un sujet provoque toujours une réponse qui annule les effets du signe perçu, ce qui met fin à l’action. C’est par exemple le cas lorsque le message porteur de signes est du domaine alimentaire, il est annulé en étant dévoré, sinon il est anéanti car lorsque la satiété intervient, les récepteurs sensoriels cessent de le percevoir. » Dès que la réaction au signe s’est produite, le cycle (l’action) a été accompli et s’éteint. Le cas échéant, le cycle reste en quelque sorte en suspens, créant ainsi une frustration qui ne demandera qu’à se décharger et tant qu’elle ne le sera pas, elle enflera.
L’éthologue a créé l’éthogramme comme un inventaire des comportements dont chacun doit rendre compte de chaque détail de l’action. Pour qu’il soit le plus complet possible, l’analyse s’effectue sur vidéo visionnée au ralenti ou en accéléré donnant des renseignements que l’observation directe n’est pas capable de fournir (c’est exactement le même procédé que nous réalisons en Synergologie).
Les comportements pour communiquer ?
Entre membres d’une même espèce, il existe des forces qui peuvent agir aussi bien dans le sens de l’attraction que dans la répulsion. Les individus sont souvent porteurs de signaux évocateurs agressifs, opposant une barrière perceptible, inconsciemment ou consciemment, à toute approche. Cette barrière devra être levée à un moment donné pour la bonne gestion du groupe, la cohésion sociale, l’organisation des différentes tâches. Une abondance de types de comportements et de signaux joue le rôle de tampon, aussi bien lors des nouvelles prises de contact que dans le maintien de la continuité de ces relations. Ceux des signaux qui règlent les actions intra spécifiques, servant au maintien de l’isolement de l’espèce, sont en général tellement spécifiques qu’ils peuvent être compris que par les membres de l’espèce. Là, j’attire votre attention sur le parallèle évident à faire avec les humains en termes de communautarisme. Chaque groupe d’individus possède son langage verbal et non verbal, ses valeurs qu’il va défendre bec et ongles contre d’autres groupes perçus comme une menace et les exemples ne manquent malheureusement pas aujourd’hui (gilets jaunes, extrémisme, djihadisme, communautarisme, féminisme…).
Pour prendre l’exemple des corbeaux, les sons appris leur servent à la communication avec d’autres espèces. Cependant, lorsqu’une situation critique/vitale apparaît, les appels émis ne peuvent pas être remplacés par ceux qui ont été appris. Ce sont les comportements instinctifs propres à un système, à un groupe ou une espèce qui vont s’exprimer naturellement en premier. Par extrapolation, si une personne d’un naturel peureux se forme à un système d’autodéfense, en cas de situation vitale engagée il est probable que sa peur grégaire dicte sa réaction face à l’agresseur (fuite ou immobilité) nonobstant ce qu’elle a appris, sauf si elle s’est confrontée à cette situation de façon répétitive et dans des conditions proches de la réalité (et donc pas en dilettante).
Par ailleurs et parce que l’agressivité sous toutes ses formes régit la survie de l’espèce, le rire est une cérémonie d’accueil dérivée d’un mouvement de menace, ce qui est rendu possible par le fait de montrer les dents (Lorenz). N. Bolwig l’interprète comme une morsure ritualisée parce que l’extériorisation rythmique de la voix fait penser à celle des sons similaires produits par un groupe de primates quand ils menacent un ennemi à l’unisson. Le rire, par ce qu’il véhicule inconsciemment comme possibilité de défense et donc d’agression, permet de faire descendre la tension lors d’une confrontation (le rire voire le sourire et pas la moquerie qui elle génèrera une réaction agressive).
Agressivité et rire pour moduler les relations mais parfois, une situation stimulante est telle que différentes appétences sont activées simultanément, comme par exemple les désirs d’attaquer et de fuir. De tels types de comportements directement opposés entrent en conflit les uns les autres, et le résultat peut prendre différentes tournures. On peut parler d’ambivalence simultanée dans lesquels les deux systèmes activés l’emportent simultanément. On parle de masquage si un comportement en supprime un autre, sans pour autant les empêcher d’apparaître tous les deux ensembles. En psychologie, on parle de somatisation, en Synergologie ce hïatus de communication est connu comme étant une chimère.
Chez les animaux comme chez les humains, ce flux d’excitation antagoniste est déchargé sous forme de gestes comme la recherche d’appui, se frotter, s’essuyer, se gratter avec la main, les yeux, la bouche, de passer la main sur la barbe (présente ou pas). Ces mouvements de dérivation ne se produisent pas seulement quand les conduites antagonistes sont activées mais également quand le « but » d’un comportement est atteint trop vite. C’est le cas lorsque le rival, avec lequel l’animal est engagé dans un combat, s’enfuit trop rapidement ou quand un stimulus attendu ne se manifeste pas. Ce moment-là est particulièrement intéressant à décrypter, à analyser pour comprendre ce qui l’a provoqué.
Les comportements : éléments essentiels à la survie de l’espèce ?
Selon Lorenz, le comportement des individus dépend beaucoup plus des composantes innées qu’apprises. "L’exemple est flagrant de l’homme par la disproportion entre ses énormes succès dans la domination de son environnement et son incapacité à résoudre les problèmes inhérents à son espèce."
C’est également le cas pour ce qui est de l’agression dont le comportement est toujours le résultat de frustrations (Dollard et coll., 1939). De ce point de vue, l’agression est donc réactionnelle et non l’expression d’une pulsion spontanée. Cependant, ce concept s’oppose à l’instinct dynamique d’agression que défendent Freud et Lorenz qui pour eux, serait la production d’excitations endogènes et le comportement appétitif correspondant. Pour une bonne inclusion et nous l’avons précédemment évoqué, il existe des voies de décharges de cette agressivité, comme de proférer des insultes ou de regarder des films au contenu agressif. Toutefois, la diminution de l’intensité des pulsions agressives n’est que temporaire parce qu’à terme, la régularité de la possibilité de décharge occasionne une sorte d’entraînement à l’agression. Ainsi, cette pulsion tend à se normaliser si elle n’est pas maîtrisée et le passage à l’acte devient probable.
Il existe une différence entre l’agression interspécifique et l’agression intraspécifique. Un carnivore combat différemment ses semblables et ses proies. Il est rare que les animaux, avec la force ou les armes naturelles dont certains sont dotés, les utilisent contre un congénère sans qu’il y ait inhibition. « L’existence des combats ritualisés fait ressortir la force de pression sélective du comportement agressif. Faute de quoi, dans les espèces qui, par leur comportement agressif, sont capables d’endommager leurs congénères, il y aurait eu une contre-sélection ; en fait, les techniques de combat les plus compliquées se sont développées en vue de permettre que les combats tiennent lieu de mécanismes d’espacement. » Cette notion d’espace, de territoire, est primordiale. Notons que l’habitude d’attaques émerge graduellement au cours du développement infantile, quand les animaux font l’expérience de la douleur au travers de la compétition pour la nourriture, mais aussi dans les jeux.
La cause du comportement agressif est la désorganisation sociale, parce qu’à l’intérieur d’un groupe, l’agression est souvent neutralisée par le développement d’une hiérarchie. D’autre part, la conscience de groupe dans une société bien organisée augmente l’agressivité contre les étrangers (H D Schmidt, 1960). La hiérarchisation ne suppose pas seulement que quelques membres du groupe gagnent leur autorité, soit par des combats ou par des performances particulières, mais aussi que les subordonnés reconnaissent et acceptent cette hiérarchie. Seule cette faculté avec la disposition à la subordination rend possible la formation de sociétés stables.
Voilà ce que je pouvais rapporter comme informations sur ce livre, mais il y en a tant d’autres encore. Sans organisation sociale, pas de société stable, donc une évolution compromise. Les rapports sociaux sont gérés par l’agressivité à différents curseurs et leurs substituts. Reconnaître et comprendre les comportements permettent de donner de l’information et d’aider les personnes à y voir plus clair, à s’adapter, à vivre mieux si possible.
Le rapport aux autres est aujourd’hui violent, l’individualité et le communautarisme sont plébiscités. Ce sont des valeurs refuges parce qu’ils permettent de se rassurer, ce qui n’est pas la solution à moyen/long terme. Alors je me pose la question : le communautarisme est-il si gênant ? La réponse est « oui » tant que les membres d’une même communauté n’auront de cesse de vouloir s’étendre et diffuser LEUR bonne parole.
Que faut-il combattre hormis la sécularisation qui fonctionne de pair avec le prosélytisme ?
D’un point de vue purement psy, à la base est le traumatisme de la naissance (Otto Rank) mais ça, c’est une autre histoire…