"L'avenir n'est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire." Henri Bergson, philosophe français (1859-1941).
Les statistiques de l’insécurité et de la délinquance en France pour 2022 (vs 2021) viennent d’être publiées, et elles ne sont pas bonnes (source : Insécurité et délinquance : les premiers chiffres 2022 | vie-publique.fr) :
- Coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus : +15%
- Vols sans violence contre des personnes : +14%
- Usage de stupéfiants : +13%
- Violences sexuelles : +11%
J’ai précédemment abordé l’importance de l’environnement et de l’éducation parentale. La préoccupation parentale n’est jamais mise sur le devant de la scène depuis Dolto et son “enfant est un sujet à part entière.” Malheureusement, les parents post 1968 ont gardé ce qui les arrangeait dans la théorie novatrice de Dolto. Ils ont omis la partie “l’enfant est un être en construction, mais qui ne peut pas se développer sans l’éducation des adultes - donc sans leur autorité” mais ont gardé la partie “enfant roi.”
Ce qui vaut pour les parents post 1968 vaut également pour les familles qui ont un fonctionnement de type clanique. “Le projet parental a une importance majeure pour la construction du destin d’un enfant. Il passe par une attention prêtée aux devoirs et aux résultats scolaires même si les parents n’ont pas pu faire d’étude (Rapport Dr M. Berger, 2021).” Ce défaut éducatif va avoir des conséquences importantes sur le développement psychologique de l’enfant. Absence d’empathie, construction d’un monde où il se voit omnipotent, pauvreté imaginaire, insensibilité, impulsivité, absence de sens critique.
Dans l’analyse comportementale, cet aspect environnemental est très important à analyser parce que c’est dans la petite enfance que se construit le faux-self (faux-soi). Selon D. Winnicott, le vrai self désigne l’image que le sujet se fait de lui-même et qui correspond effectivement à ce qu’il est et perçoit à travers une réaction adaptée.
Le faux-self désigne une instance psychologique et comportementale qui se sont constituées pour s’adapter à une situation plus ou moins contraignante. L’image de soi est alors défensive et fonction des réactions inadaptées de l’environnement.
Observer un groupe d’individus c’est prendre de la hauteur sur la situation, sur les interactions mais sans faire de focus sur une seule personne.
Axer son observation sur une personne serait une erreur car l’acte intentionnel n’est qu’une partie du comportement, ce n’est pas la cause. Il est donc nécessaire d’analyser l’environnement, le contexte pour apprendre à prévoir les comportements sur la base des informations que fournit le contexte et non pas seulement à partir de l’intention inférée des individus. C’est ce que fait d’ailleurs, de façon inconsciente, chaque membre d’un même groupe d’individus. Il analyse l’interaction au regard des règles sociales induites de ce même groupe de façon à prévoir à très court terme le prochain mouvement, la prochaine parole, le prochain geste, la prochaine réaction…
Une interaction ne se résume pas à un échange d’actions et de réactions entre deux ou plusieurs personnes, c’est aussi un moment d’échange de règles sociales et chacun vient avec les règles qu’il a apprises, avec toutes les différences que cela induit également (culturelles, statut socio-économique, familiales…). Ce moment d’échange revêt un aspect subliminal et seule l’information de faits nouveaux fait l’objet d’un processus autoréflexif.
Si nous identifions les conditions du passage à l’acte en général et criminel en particulier, il est alors possible de recenser les faisceaux d’éléments qui doivent nous alerter sur la probabilité d’un passage à l’acte délictueux.
Le passage à l’acte est la partie visible de l'iceberg de par sa soudaineté. C'est un long cheminement quotidien, souvent inconscient du criminel, et d’une conjonction de circonstances qui, mises bout à bout, aboutissent à un acte délictuel. « Le crime est la réponse d’une personnalité à une situation ». Égocentrisme, labilité, agressivité, indifférence affective, tels sont les quatre caractères fondamentaux de la personnalité qui sous-tendent le passage à l’acte (Pinatel).
Les criminologues font une distinction entre le « milieu du développement », qui influence la formation et l’évolution de la personnalité (la famille, les groupes sociaux, etc.) et le « milieu du fait », c’est-à-dire les situations dans lesquelles est placé le délinquant au moment de son crime. Ce "milieu du fait " est un facteur important dans le déclenchement du passage à l’acte.
Le processus qui conduit à l’accomplissement de l’acte comporte 4 phases (De Greef):
- la phase de l’assentiment inefficace,
- la phase de l’assentiment formulé,
- la phase de la crise,
- la phase du dénouement.
"L’étape initiale de l’assentiment inefficace est l’aboutissement d’un lent travail inconscient. Une occasion quelconque révèle au sujet « un état souterrain préexistant » : un rêve, la lecture d’un fait divers, une conversation, un film ou toute autre circonstance lui fait entrevoir par une sorte d’association d’idées ce que, sans le savoir encore clairement, il souhaitait vaguement depuis quelque temps, par exemple la disparition de son conjoint, dont il est las. Il accepte alors l’idée de cette disparition possible. Mais la mort de son conjoint est représentée dans son esprit comme un phénomène objectif dans lequel il ne prend personnellement aucune part. (...) Il imagine qu’elle puisse résulter de la nature des choses, d’un accident de la route, d’une maladie, d’un cataclysme, d’un suicide... Mais il envisage cette possibilité sans déplaisir : acquiescement encore inefficace, puisque le sujet ne se représente pas encore en tant qu’auteur de ce drame. Dans la plupart des cas, la velléité homicide très indirecte et très détournée s’arrête là, car l’équilibre est vite rétabli par une réaction morale. Mais quelquefois cela va plus loin.
L’assentiment devient ensuite un acquiescement formulé. Tout en continuant à s’efforcer de penser que la disparition pourra s’accomplir sans son concours, le sujet commence à se mettre lui-même en scène en tant qu’adjuvant de l’œuvre destructrice. Mais la progression de cette idée passe par des hauts et des bas. Le travail de dévalorisation de la victime alterne avec l’examen des inconvénients du crime. A ce stade, « un rien peut faire accomplir un bond prodigieux en avant ou susciter une fuite éperdue ». Le crime peut même survenir prématurément au cours de cette période, alors que la préparation du criminel n’est pas complète ou qu’il n’a pas eu le temps ou la hardiesse « de se regarder lui-même ». Une ivresse, une discussion, un événement hors série, une occasion exceptionnelle offerte par le hasard précipitent les choses. C’est ici que pourront se situer des actes mal exécutés ou dont l’éclosion apparemment soudaine trompera la justice sur leur véritable signification (De Greef). Mais, souvent, le dénouement est précédé d’une crise.
La crise est le signe que l’homme « marche à reculons » vers un acte aussi avilissant qu’un crime. Il ne s’y détermine qu’après une véritable agonie morale. Il faut qu’il se mette d’accord avec lui-même, qu’il légitime son acte. Plus il est « stabilisé dans des pratiques morales lui enjoignant la réprobation d’un tel acte, et plus il lui faudra de temps pour s’adapter à cette déchéance ». Quelques criminels cependant, pour surmonter cette pénible crise, s’imposent à eux-mêmes un processus avilissant « en se créant une personnalité pour que le crime ne soit plus une chose grave et tabou ».
Après le dénouement, on constate généralement un changement d’attitude. Le délinquant, qui se trouvait auparavant dans un état d’émotivité anormale, va manifester, selon les cas, un soulagement, des regrets, de la joie ou de l’indifférence. « Toute la personnalité du criminel se trouve condensée à ce moment-là. »
La réaction d’indifférence ou de désengagement se rencontre chez les criminels qui, ayant longuement vécu la préparation psychologique de leur acte, considèrent le résultat comme une conclusion logique de leur projet. Ils ont fait ce qu’ils voulaient accomplir et ils n’éprouvent pas le besoin de dramatiser davantage.
Pour aller plus loin : https://www.lesswrong.com/posts/CYN7swrefEss4e3Qe/childhoods-of-exceptional-people
Angelo Hesnard, Psychologie du Crime, La bibliothèque des introuvables, 2003.
Crédit photo : Depositphoto