“Je suis en train de crever...” (La fille au fond du jardin…)
La dissociation est un phénomène vécu et connu de tous. Que ce soit dans nos rêves ou lorsque nous sommes dans la lune, il n’y a rien de plus normal et dans ces cas là, la dissociation n’est pas vécue comme invalidante.
C’est aussi, malheureusement, un phénomène qui se retrouve assez souvent dans la dépression sévère.
J’ai souhaité aborder ce sujet en prenant comme base le carré sémiotique suivant :
Qu’est ce qu’une “dépression / des-pressions” ?
C’est exercer une pression du haut vers le bas. C’est la rupture de l’équilibre et d’une conséquente chute de l’état d’esprit (Muriana, 2006).
A l’origine est la perception d’un écart et la mise en place de comportements régulateurs (Haley, 1963).
Mais qu’est-ce qui fait que cet état dépressif avec dissociation se maintient dans la durée ?
Quels sont les mécanismes à l’oeuvre ?
Parce que l’individu tente de lutter pour retrouver un fonctionnement normal par sa seule volonté et ses efforts, en se contraignant à être dans l’action. Une action d’ailleurs très gourmande en énergie physique et psychologique.
Ces efforts se caractérisent par des injonctions paradoxales : “sois fort”, “soit de bonne humeur”, “bouge toi”, “tu as tout pour être heureux”... toutes ces vaines tentatives exacerbent le problème finalement.
Pour être déprimé, il faut d’abord se faire des illusions, idéaliser les choses, les gens, le monde, le travail, les situations, par projections de notre éducation et de notre expérience. Comment devraient se comporter idéalement les individus selon notre propre réalité idéalisée. “Dès que nous sentons que la réalité que nous avions construite ne convient plus, nous n’avons plus de réponse à nos problèmes” (Watzlawick, 2006).
C’est la désillusion, la rupture de notre réalité avec notre monde symbolique. Nous étions uni dans un seul corps/esprit, notre individualité éclate en morceaux où le Ça, le Moi et le Surmoi sont éparpillés dans tous les sens. L’individu tente de reconstruire le puzzle mais l’image s’est effacée, il n’y a plus de modèle, incapable de ressentir et d’appréhender les choses avec recul, ni priorité. C’est la dissociation. La désunion, la fragmentation de la conscience, de la mémoire, de l’identité, des sens et de la perception. La personne à l’impression de vivre en dehors de son corps.
Pour Janet, la pensée normale synthétise les niveaux subconscient et conscient, ce qui permet l’unité du Moi. Dans la dissociation, l’individu n’arrive plus à synthétiser les différents phénomènes psychologiques. Certains sont enregistrés par la conscience et d’autres par le subconscient et de manière anarchique.
Ce rétrécissement de la conscience est provoqué par la fatigue, le stress, le trauma et accentué par certains médicaments.
Pour Freud, il s’agit d’un mécanisme de défense, le refoulement, dont le but est de protéger la conscience sauf que l’inconscient ne supporte qu’un certain niveau de tensions accumulées par les pulsions refoulées. Pour prévenir tous risques de débordement, le psychisme les évacue vers des voies d’allègement automatiques : rêves, lapsus, actes manqués et… somatisation ! Le corps est choisi comme moyen et lieu de décharge.
Tous les appareils du corps peuvent être le siège de la maladie psychosomatiques. Cependant, les troubles psychosomatiques n’ont rien de symbolique. Angoisses archaïques et tentatives pour les contenir et les symboliser. Trauma subi dans l’enfance qui, de l’extérieur semble anodin, mais vécu par l’individu comme terrifiant si bien qu’il ressurgit au cours de la vie lors d’un épisode de peur intense ressentie. Cette peur vient fracturer la conscience causant une angoisse d’effondrement, d’anéantissement, de morcellement et d’intrusion.
Cet état de conscience altérée se retrouve dans l’état hypnotique. C’est la simultanéité d’une activité mentale consciente et inconsciente. “En focalisant l’attention du sujet sur un objet ou une sensation et en suggérant l’inhibition des éléments extérieurs, il est possible de créer une forme de dissociation entre l’expérience subjective et le monde environnant” (Laurence et Perry, 1981).
Certaines dissociations traumatiques se rapprochent de l’hypnose dissociante où la personne vit la situation avec détachement, avec du recul, en l’analysant mentalement. Dissociation en tant que mécanisme de défense pour préserver l’intégrité mais aussi pour comprendre une scène trop pleine d’émotions que la personne ne veut pas vivre en tant qu’acteur.
Dans la dépression sévère, avec ses symptômes de dépersonnalisation et de déréalisation, se joue l’équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort. L’objectif crucial est de maintenir puis de développer la pulsion de vie qui se caractérise par le passage à l’acte, par l’agir.
A l’inverse, ce qui caractérise la pulsion de mort, c’est l’absence de passage à l’acte, c’est l’incapacité à prendre une décision. la pulsion de vie adapte son niveau d’énergie au psychisme de l’individu.
Alors, si la pulsion de vie est caractérisée par le passage à l’acte, faut-il voir dans le suicide son acmé ? Malgré le côté définitif du geste qui semble contradictoire ?
“Je veux vivre dépouillée de cette angoisse traumatisante et incapacitante alors je disparais définitivement… je me vois crever donc je passe à l’acte dans une ultime pulsion de vie…”
A chacun de tenter de comprendre, puis de pardonner…