La force d’un témoignage investi et authentique !

Le 05/08/2018 0

Article qui aurait également pu s’intituler : « Reconnaître le dysfonctionnement du lien mère-fille au travers d’un témoignage relatif à un TCA », dans la mesure où ce dysfonctionnement est clairement désigné au travers d’un geste spécifique, à 2 moments uniques de cette interview. Nous verrons quel est ce geste un peu plus loin.

Double objectif aussi pour cette analyse qui pointera les marqueurs gestuels témoins de la véracité d’un témoignage, ici un trouble du comportement alimentaire, et l’évocation inconsciente d’une information connexe non prévue, ici le lien mère-fille dans l’enfance.

Rappelons que dans le mensonge, il est fréquent que l’individu regarde significativement son interlocuteur pour constater si son histoire est crue par l’autre. Il emploie plus volontiers des pronoms impersonnels et se dissocie de l’évènement qui est généralement une histoire peu complexe illustrée par des mots à teinte négative.

En revanche, dans la vérité l’emploi du « je » est fréquent, la personne assume sa responsabilité dans l’événement et le regard se défocalise involontairement (défocalisation passive) et fréquemment.

Ely Killeuse est bloggeuse et témoigne, pour le Huffington Post, de sa relation avec ses parents lorsqu’elle était en proie à un trouble du comportement alimentaire.

A noter qu’il n’y a pas d’image inversée si je me réfère au t-shirt en début de séquence et à son livre qu’elle tient devant elle.

« Quand ma mère s’est aperçue que je me faisais vomir… »

Nous constatons immédiatement cette défocalisation passive du regard, véritable témoin de la véracité du discours. A l’évocation de sa mère, la bloggeuse se démange nettement la base du nez (N20 à 36 sec.), marqueur gestuel spécifique qui signifie que tout n’est pas dit.

L’évènement est décrit tout d’abord avec la main gauche (40 sec.) puis ce sont les deux mains qui sont employées (cognition incarnée) ; main gauche qui nous indique que le sujet la touche particulièrement.

Ely Killeuse montre une certaine rigidité (liée à elle, à son histoire) par le côté extérieur gauche de sa bouche qui s’étire (40 sec.). Cette gêne liée à l’image renvoyée aux autres et à soi est aussi visible par la lèvre inférieure qui s’étire vers le bas, laissant apparaître les dents (45 sec. avec la vitesse réduite à 25%). Cette gêne ressentie est un mélange de peur et de dégoût que nous pourrions réinterpréter comme une révulsion ressentie face à sa maladie.

« Ensuite, j’allais me faire vomir et vu que mes parents travaillaient tard, ils ne s’en rendaient pas compte. »

A nouveau, Ely Killeuse défocalise son regard, témoin de son sentiment de culpabilité. Les sourcils se lèvent pour souligner les propos (53 sec.). A la fin de l’évocation de son souvenir, sa bouche se ferme avec une tension visible dans la mâchoire, ce qui indique qu’elle ne souhaite pas en dire davantage.

Lorsqu’elle parle des vomissements répétitifs et des conséquences sur la santé, sa bouche se ferme pour en dévoiler peu sur ce sujet et sa langue sort très rapidement en son centre (1 min. 14 sec.). Est-ce une langue de vipère ou une langue de délectation ? J’opte pour le fait qu’elle savait ce qu’elle encourait mais qu’elle n’en avait pas pris conscience. Sa langue sortie vient donc nous dire « oui je le savais mais je l’ai fait quand même, parce qu’à ce moment-là, j’en avais besoin pour mon équilibre psychologique.» Et c’est ce qu’elle nous confirme juste après lorsqu’elle dit que « l’envie d’être mince était plus intéressante que de prendre soin de ma santé. »

« Ce qui m’a vraiment aidée, c’est quand ma mère m’a emmenée faire du shopping… »

Voici le second moment important de l’interview, lorsqu’elle évoque sans en avoir conscience sa relation dyadique mère-fille. Ce qui est intéressant, c’est à nouveau cette micro démangeaison faite avec son index gauche (l’index est le « je » personnel, celui qu’on tend lorsqu’on veut prendre la parole) à la base du nez (N20) et qui nous indique des propose cachés, des non-dits. Elle déglutit, sa mâchoire se crispe quand elle avoue qu’elle se faisait mal autant qu’aux autres, ses yeux sont humides et sa bouche se ferme pour ne plus trop en dire (1 min. 34 sec.).

« Mon père rentre tard, ma mère, elle, elle a l’avantage de travailler en poste… »

Ce coup-ci, c’est son majeur droit qui vient gratter la base de son nez alors que ses propos font référence à son père ET à sa mère. Ce geste m’interroge, effectué de la main droite il induit l’environnement, le monde extérieur tandis que le majeur fait référence à la libido, au couple…

Pour ma part, je comprends qu’il y a une tension à la base dans la relation dyadique mère-fille, comme je l’ai précédemment dit, et que cette tension a grandi du fait du TCA de Ely. Ce geste traduit inconsciemment un reproche adressé à sa mère, un manque qui a été ressenti avec force et qui a été à l’origine du TCA. Le manque, qui fut source d’une grande angoisse pour la bloggeuse, a été redirigé vers le corps, vers une action (décharge pulsionnelle de l’agir) pour satisfaire son homéostasie.

Quelques dizaines de secondes après (2 min. 24 sec.), Ely se démange une partie du corps qu’on ne voit pas du fait du cadrage de la caméra, lorsqu’elle dit qu’il est nécessaire d’aller consulter un médecin bienveillant. Elle marque ainsi son regret de ne pas en avoir trouvé un, ou de ne pas l’avoir fait.

« Malheureusement, dès l’enfance on instruit un rapport compliqué à l’alimentation… »

C’est par ailleurs un autre moment important de cet entretien parce qu’il témoigne d’un vrai rejet. Le regard se détourne franchement à sa droite, semblant vouloir éviter son propos. Elle place ainsi de facto l’alimentation, qu’elle aime et qu’elle vante, sur sa gauche (côté cœur bien sûr).

Les mains s’activent à nouveau, paumes dirigées vers elle et formant ainsi une bulle imaginaire protectrice. Ainsi, elle s’associe à son discours.

Dans cette analyse, nous avons vu que les marqueurs gestuels mis en avant, de façon inconsciente, par la bloggeuse traduisent un discours vrai, un témoignage de son expérience personnelle mais dévoilent également de façon insidieuse l’origine de son TCA.

Ces marqueurs sont perceptibles à l’œil nu pour autant que nous soyons entraînés à y faire attention. Ils sont importants parce que leur appréciation permettra un meilleur questionnement du thérapeute, notamment sur les non-dits du patient, mais également dans un cadre judiciaire.

Pour information à propos des TCA, Irène Chatoor et l’école de Washington ont établi la classification nosographique la plus reconnue en France et à l’étranger des TCA, qui permet un meilleur diagnostic :

  • Le trouble alimentaire de la régulation des états,
  • Le trouble alimentaire associé à un manque de réciprocité mère-nourrisson,
  • Les aversions sensorielles alimentaires,
  • Le trouble alimentaire associé à des conditions médicales concurrentes,
  • Le trouble alimentaire post-traumatique.

Pour une bonne prise en charge, le thérapeute se doit de :

  • Ne pas exclure la possibilité d’une cause organique,
  • Evaluer l’intensité du trouble relationnel et les répercussions sur l’enfant de la personnalité des parents,
  • Proposer une guidance maternelle et la requalification des compétences paternelles.

Pour la suite me concernant, je serai en formation sur la prise en charge du trauma psy en septembre et dès novembre j’aurais l’honneur de participer à une certification à l’entretien cognitif (une première en France), dispensée par le Pr. Jacques Py. L’entretien cognitif a été récemment utilisé en France pour une affaire pédo criminelle et a déjà démontré sa très grande utilité outre atlantique.

 

Ely killeuse

Lien vers la vidéo :

https://www.youtube.com/watch?v=AjqKlyPHfow

Liens vers les articles connexes :

http://elykilleuse.fr/

https://projet.chu-besancon.fr/pmb/PMB_Ecoles/opac_css/doc_num.php?explnum_id=171

https://www.cairn.info/revue-perspectives-psy-2007-4-p-354.htm

https://recherche.univ-paris-diderot.fr/actualites/les-troubles-du-comportement-alimentaire-lies-la-relation-parentale

http://www.lemangeur-ocha.com/wp-content/uploads/2012/04/AlimAdos-Meryem-Sellami3.pdf

newman et al 2003 – Lying words : Predicting deception from linguistic styles

http://psychotemoins.inist.fr/?Ameliorer-la-qualite-des-portraits

 

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