Le manque de l’Autre est avant tout un besoin d’éviter un vide intérieur, qui crée inconsciemment des angoisses, des frustrations, de la colère.
Le manque de l’Autre (ou le manque à “Etre”) peut être apprivoisé par l’intelligence émotionnelle. Les angoisses suscitées par le manque, le stress, peuvent provoquer des accès d’alexithymie, cette espèce de confusion des sens où le cerveau archaïque vient court-circuiter le cerveau cognitif. L’alexithymie désigne le manque de mots pour qualifier et désigner ses états affectifs, ni de pouvoir les distinguer les uns des autres, l’intelligence émotionnelle permet de nommer avec précision ses ressentis, ses manifestations physiques en lien avec ses émotions. C’est la granularité émotionnelle.
Ce sentiment de manque/besoin vient de la petite enfance où la tendresse souhaitée a manqué. Chercher à la combler inconsciemment en se tournant irrémédiablement vers l’extérieur en se nourrissant de l’autre, persuadé que l’amour donné ou la reconnaissance apaisera, peut amener à rejouer inlassablement la même partition - cercle vicieux.
Si une mère se trouve trop angoissée, trop stressée et/ou dans une détresse psychologique, elle sera incapable d'interpréter correctement les signaux non verbaux émis par son nourrisson. Une mère suffisamment bonne, en revanche, est capable inconsciemment de répondre aux besoins de son nourrisson, précisément en adoptant le point de vue du nourrisson.
Ce comportement inadéquat de la mère angoissée va générer une vraie frustration pour son nourrisson, faire naître une rage impuissante dit Joyce McDougall, qui va pousser le nourrisson à mettre en oeuvre comme il le peut des moyens de protection qui perdureront dans la vie d’adulte.
L’enfant va ainsi éjecter de lui, vers l’extérieur, vers les autres et qui peut aller vers l’outrancier, cette angoisse qu’il ne peut contenir en surinvestissant les relations interpersonnelles comme dans un sport, une activité, des amis. Comme l’angoisse est née avant l’acquisition de la parole, il est impossible à l’enfant de la symboliser, ni de poser des mots dessus et donc de lui donner du sens. Le vide s’installe et se fait plus prégnant mais il devra être comblé. Cette angoisse peut aussi avoir une résonance (et c’est souvent le cas) particulière sur son propre corps, c’est la somatisation (par exemple, en développant un eczéma).
C’est cette incapacité à symboliser ce qui affecte la personne, l’enfant, qui le pousse à chercher toute sa vie ce qui aurait dû l’aider à le rassurer. Lacan parle d’objet a, Freud de castration, Winnicott de mère suffisamment attentionnée. En tous les cas, c’est ce rôle qu’aurait dû tenir le parent pour aider son enfant à surmonter l’angoisse causée par la séparation (mère-enfant).
Il subsiste inconsciemment cette envie de retourner dans la matrice, dans cette relation dyadique où la mère est omnipotente et comble, ou tout au moins dans nos fantasmes, tous les besoins. C’est l’envie, le désir de l’amour-fusion-universel.
L’un des biais les plus courant que j’ai observé, dans ce type de relation interpersonnelle surinvestie, c’est cette obligation de croire que l’autre doit être fusionnel, identique à soi, avoir les mêmes pensées que les siennes, ne pas avoir d’avis différent, être une projection de soi. Ce qui peut créer des incompréhensions avec les autres, à force de projection, la personne peut mal interpréter des propos.
C’est une incapacité à comprendre et à intégrer que l’autre est différent, donc un territoire étranger et qu’il participe à notre développement personnel en nous proposant une lecture contradictoire. Nous sommes fait des autres.
Un autre biais, moins répandu mais que je connais particulièrement bien, c’est la dépendance affective dissimulée sous des strates d’indépendance revendiquée. La peur d’être englouti par l’amour, la peur qu’il cesse et la crainte de ressentir cette béance lorsqu’il n’est plus. Seule parade a priori : le clivage émotion/cognition par l’évitement, la fuite, le déni.
Encore une fois, l’intelligence émotionnelle permet de dépasser (doucement) ce clivage en se confrontant à ses ressentis de la rencontre avec les autres (qui n’est pas l’Autre) et de se réapproprier l’expérience de ses sensations corporelles et émotionnelles. Elle rééquilibre nos deux cerveaux. L’autre n’est pas l’idéal ni du Moi, ni de l’Autre, mais certainement qu’il peut nous apporter quelque chose de positif.
“La peur de la solitude crée l’attachement, la possessivité, le besoin de manipuler l’autre et de tout contrôler. On devient tour à tour bourreau, victime, sauveur ou jouet, un engrenage qui risque de devenir destructeur. Toutes les dépendances ont la même source : le sentiment de solitude évité.”